ARMAND CROISONNIERJoyeusement écrabouillés
« Le mardi 14 janvier 2020 à 18 heures 22, j’ai dit « À bientôt » à une personne qui m’était chère pour aller acheter le scanner HP Deskjet 3636 à la Fnac Paris Ternes, avant que le magasin ne ferme. Ce n’est qu’après que je compris que ce jour fut le dernier qu’il m’ait été donné de la voir, et que ce scanner, cette machine d’archive, deviendrait la promesse de ne plus jamais laisser quelqu’un disparaître de ma vie.
C’est ainsi qu’est né mon projet d’archive, mon projet de lutter contre la vanité de la vie, celui de chasser l’éphémère de mon quotidien, de ne plus laisser quoi ou qui que ce soit s’échapper de ma mémoire, en conservant le moindre de leurs détails dans une archive plus vraie que nature de ma vie.
En objectivant mon monde à travers ses capteurs, ce scanner est devenu mon aspirateur à souvenirs. En décomposant mes rencontres et objets du présent, il m’aide à recomposer le puzzle de mon passé sensible, à en garder une trace, à le garder en vie sous toutes ses coutures. Il est ma seule et unique arme pour ressusciter mon passé.
Si Nietzsche dit qu’il faut oublier pour vivre, cette machine m’a persuadé que non. Parce qu’en aplatissant mon monde, ses objets, et et mes relations, elle m’a fait découvrir, redécouvrir mes amis, ma vie, si bien qu’aujourd’hui je n’imagine pas continuer sans elle.
À Annaka et mon fidèle HP DeskJet 3636 »

Autant citer l’auteur pour parler de son travail jubilatoire, où il nous écrabouille tout entier, tout cru, sur sa vitre de scanner.
En participant à cet exercice qui devient très vite expérience, le sujet est obligé de montrer tout ce qu’il veut cacher, sans aucune distance, comme s’il se disséquait lui-même devant l’autre. Tout ceci joyeusement, la loupe a remplacé le scalpel!
Sous cette lumière et sur cette vitre compresseuses, tout y passe, lentement, sûrement, centimètre par centimètre, notre orgueil, notre vanité, notre bien-séance. La chair flasque se répand. Bouche, nez, joues, cuisses, doigts, orteils se vautrent. Humains, objets, textiles, nudités s’incrustent sur la surface, tous à égalité, tous édifiés à un état de fossiles dansant en deux dimensions. Oui, paradoxalement, ces scènes de vie bougent et se télescopent. Tout dialogue, objets animés et inanimés.

De l’autre côté de la vitre, à regarder ces humains aplatis, on cherche à les aider, à les faire revivre, leur redonner forme en 3D dans notre cerveau, mais aussi dans notre coeur. C’est là toute la grâce et la magie du travail d’Armand. Il nous re-rend vivants, de part et d’autre de la vitre. Une connexion puis une interaction se créent. Le spectateur serait-il lui-aussi écrasé sur cette vitre, tout contre le sujet scanné? Sans s’en apercevoir, passerions-nous de l’autre côté de la plaque pour rejoindre notre alter ego?
Muni de son HP Deskjet 3636, de son respect, de sa délicatesse et de son humour tendre, Armand est un médium connecteur. Il orchestre, chorégraphie, nous révèle et nous fait dialoguer, avec nous-même et avec les autres. A force de se croiser et s’entrecroiser dans le travail d’Armand Croisonnier, on se rencontre.
Ça, c’est son alchimie. Aurait-il compris l’histoire du verre à moitié rempli? nous ferait-il oublier le verre à moitié vide? Oui et oui.
Armand nous met en joie.

« Bonjour, moi, c’est Armand Croisonnier, originaire de Lyon, je m’intéresse à la confiance que nous vouons à l’image, à l’ambiguïté de son genre, à ses frontières avec le réel et la relation complexe qu’elle entretient dans la construction de notre mémoire.
La mémoire et son caractère volatile est à la source de nombreuses craintes chez moi, dont celles d’oublier, de perdre la trace des choses qui comptent pour moi. Garder en mémoire quelqu’un, ou un instant, c’est continuer de le faire vivre, c’est continuer de le ressentir, et de préserver la preuve de son existence. C’est garantir sa mémoire, donc garantir sa vie.
L’image et la photographie sont pour moi les moyens les plus efficaces de ne pas oublier. En tant que trace d’un « ça a été », elles conservent, intensifient, rallongent ou figent l’instant et l’imaginaire. »
Insta : armandc_
Janvier 2021
